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Les outils d’IA se déploient dans les entreprises mais pas sans débats juridiques. Dans une ordonnance récente, le tribunal judiciaire de Paris a rappelé qu’une consultation du CSE pouvait être obligatoire avant la mise en place d’outils d’intelligence artificielle (IA), en fonction de leur nature et de leurs impacts sur les conditions de travail.

Le contexte : France Télévisions face au CSEC

En 2024, France Télévisions déploie deux outils numériques à base d’intelligence artificielle dans son organisation, sans consulter au préalable le Comité Social et Économique Central (CSEC). Ce dernier estime que ces projets relèvent d’une consultation obligatoire, car ils introduisent des technologies nouvelles susceptibles de transformer les conditions de travail.

MedIAGen : une plateforme d’IA générative

Cette plateforme permet aux collaborateurs d’accéder à des outils d’intelligence artificielle générative (comme ChatGPT ou équivalents), dans un cadre sécurisé, et de créer leurs propres assistants virtuels personnalisés pour automatiser certaines tâches. Testée auprès de 800 salariés, elle devait ensuite être généralisée à l’ensemble du groupe.

France Télévisions y voyait un levier d’efficacité opérationnelle, sans impact direct sur les conditions de travail. Le CSEC, lui, y voyait une transformation importante de l’organisation, avec des effets potentiels sur l’emploi, l’autonomie ou la charge mentale.

Raiponse v2 : un chatbot RH amélioré

Il s’agit d’une nouvelle version d’un agent conversationnel RH (déjà utilisé depuis 2022), conçu pour répondre aux questions des salariés. La version 2 inclut de nouvelles fonctionnalités, comme :
● des réponses plus détaillées et personnalisées,
● la synthèse ou la traduction de documents,
● la suggestion de thématiques RH.

Le CSE central a demandé à être consulté sur les deux outils.

Selon l’employeur, ces améliorations relèvent d’une simple mise à jour technique, sans introduction de technologie nouvelle ni impact significatif sur le travail quotidien. Le CSEC a contesté cette position, estimant que les nouvelles capacités de l’outil et son déploiement à grande échelle justifiaient une consultation formelle.

Ce que dit la justice

Oui à la consultation pour la plateforme MedIAGen

Le tribunal judiciaire de Paris reconnaît l’obligation de consulter le CSE concernant le déploiement de MedIAGen, la plateforme d’accès aux outils d’IA générative.
Selon les juges :
● L’intelligence artificielle générative est formellement qualifiée de “technologie nouvelle”.
● Le projet modifie l’organisation du travail : il permet aux salariés de créer des assistants personnalisés automatisant certaines tâches, ce qui peut influencer leur autonomie, leurs missions ou leur charge de travail.
● L’employeur prévoit une formation spécifique, preuve que l’outil implique une évolution des compétences et des usages.
● Même si les impacts exacts (sur l’emploi, les postes, ou la charge de travail) ne sont pas encore quantifiables, le tribunal juge que le projet est suffisamment structurant et susceptible d’avoir des conséquences sur la situation des travailleurs.
Conséquence : le déploiement de MedIAGen est suspendu jusqu’à ce qu’une consultation régulière du CSEC soit menée, conformément à l’article L.2312-8 du Code du travail et à la directive européenne 2002/14/CE.

Non à la consultation pour Raiponse v2

En revanche, le tribunal rejette la demande de consultation sur la mise à jour du chatbot RH Raiponse, pour plusieurs raisons :
● La version 2 de l’outil repose sur les mêmes technologies fondamentales que la version précédente. Il s’agit d’une évolution technique (meilleur moteur de traitement, réponses plus complètes), et non d’une rupture technologique.
● Les nouvelles fonctionnalités (synthèse de texte, personnalisation des réponses, suggestions automatiques, etc.) n’ont pas d’effet structurant sur les conditions de travail.
● Aucune formation supplémentaire n’est prévue, ce qui témoigne d’une continuité d’usage.
● Le CSE avait déjà été consulté en 2022 lors du lancement initial de l’outil. La simple montée de version, sans changement majeur, ne justifie pas une nouvelle consultation.
Conclusion : le juge rejette la demande de suspension pour Raiponse v2, estimant que les conditions légales ne sont pas réunies.

Ce qu’il faut retenir

L’introduction d’un outil d’IA peut nécessiter une consultation du CSE, même sans modification directe des conditions de travail. L’enjeu est d’apprécier l’ampleur du projet, son degré de nouveauté technologique, et ses répercussions potentielles.

Une question toujours en suspens

La Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur cette nouvelle génération d’outils IA. Son dernier arrêt sur le sujet (en 2018) jugeait qu’un assistant IA simplifiant la lecture d’emails n’entraînait pas de modification significative du travail.
Mais aujourd’hui, avec l’essor de l’IA générative, les tribunaux semblent adopter une approche plus vigilante : l’impact potentiel suffit à exiger une consultation.