Contrats de travail : Panorama de jurisprudence sur les CDD des six derniers mois
Les règles encadrant les contrats à durée déterminée (CDD) sont souvent à l’origine de litiges, comme le démontre notre sélection récente d’arrêts de jurisprudence, présentée sous forme de synthèse.
Parmi les décisions récentes, deux concernent la signature des contrats. La première affaire traite de la mauvaise foi d’un salarié qui refuse de signer un avenant de renouvellement de son CDD (Cass. soc., 22 mai 2024, n°22-11.623). La seconde porte sur une contestation de la validité de la signature sur le contrat (Cass. soc., 12 juin 2024, n°22-20.962).
Une autre décision examine l’impact de l’enchaînement de plusieurs CDD, même non successifs, sur la durée de la période d’essai lors d’une embauche en CDI (Cass. soc., 19 juin 2024, n°23-10.783).
Nous avons aussi sélectionné un arrêt de la cour d’appel de Montpellier, qui clarifie les conséquences contractuelles des propos injurieux et racistes tenus par un salarié envers ses collègues (CA Montpellier, 2 mai 2024, n°21/01805).
Enfin, une décision de la Cour de cassation portant sur la requalification de contrats de mission successifs en CDI, ainsi que les délais de prescription associés, est également incluse dans notre tableau. Les principes établis dans cette affaire sont applicables à la requalification de CDD en CDI (Cass. soc., 24 avril 2024, n°23-11.824).
Signature par le salarié d’un CDD écrit
👉 Contexte
- Chaque contrat à durée déterminée (CDD) doit être établi par écrit, sous peine de requalification en contrat à durée indéterminée (CDI) (C. trav., art. L.1242-12).
- Une jurisprudence constante stipule que l’absence de signature du CDD par l’une des parties équivaut à un défaut d’écrit, ce qui entraîne sa requalification en CDI, que ce soit de la part de l’employeur (Cass. soc., 6 oct. 2016, n°15-20.304) ou du salarié (Cass. soc., 22 oct. 1996, n°95-40.266 ; Cass. soc., 31 mai 2006, n°04-47.656).
- Deux questions ont été posées à la Cour de cassation : quelles conséquences si un salarié refuse de signer son CDD (décision du 22 mai 2024) ? Que faire si le salarié conteste la signature apposée sur son contrat (décision du 12 juin 2024) ?
✅ Solution
- Premier arrêt : Refus du salarié de signer le contrat et notion de mauvaise foi
- La Cour de cassation rappelle que la signature d’un CDD est une exigence d’ordre public, et son absence entraîne, à la demande du salarié, la requalification en CDI (C. trav., art. L1242-12). Cependant, cela ne s’applique pas si le salarié refuse délibérément de signer le contrat de mauvaise foi ou avec une intention frauduleuse.
- Dans cette affaire, un salarié en CDD avait refusé de signer l’avenant de renouvellement proposé par l’employeur, invoquant son désaccord avec le contenu. Il avait continué à travailler jusqu’à la date prévue par cet avenant, puis demandé la requalification en CDI en se basant sur le fait que le CDD s’était poursuivi sans signature d’avenant. Les juges de première instance avaient rejeté sa demande, estimant qu’il agissait de mauvaise foi en utilisant ce refus pour demander la requalification. La Cour de cassation a cependant annulé cette décision, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir suffisamment démontré la mauvaise foi du salarié (Cass. soc. 22 mai 2024 n°22-11.623).
- Par cette décision, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure (Cass. soc., 7 mars 2012, n°10-12.091 et Cass. soc., 10 avr. 2019, n°18-10.614).
Motif de recours au CAE en CDD
👉 Contexte
- Le contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) est un contrat de droit privé qui peut être conclu à durée déterminée (CDD) pour des postes visant à répondre à des besoins collectifs non satisfaits (C. trav., art. L.1242-3). Ce contrat, destiné au secteur non marchand, s’adresse aux personnes sans emploi rencontrant des difficultés particulières pour accéder au marché du travail.
- Par exception, le CAE peut être utilisé pour pourvoir à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Ce contrat doit être rédigé par écrit et indiquer un motif. En l’absence de motif, le contrat est considéré comme étant conclu à durée indéterminée (CDI).
- Si le contrat mentionne « CAE » mais inclut également un motif supplémentaire, cela pourrait-il entraîner une requalification en CDI ?
✅ Solution
- La Cour de cassation répond par la négative. La seule mention « contrat d’accompagnement dans l’emploi » suffit à justifier le motif du CDD, conformément à l’article L. 1242-2 du Code du travail.
- Ainsi, si un CDD mentionne « contrat d’accompagnement dans l’emploi » et inclut également un motif de recours au CDD de droit commun (par exemple, « accroissement temporaire d’activité suite à une nouvelle activité »), c’est la mention de CAE qui prime sur les autres motifs (Cass. soc., 13 mars 2024, n°22-20.031).
Exemple de faute grave justifiant la rupture anticipée d’un CDD
👉 Contexte
- Sauf accord entre les parties, un contrat à durée déterminée (CDD) ne peut être rompu avant son terme que pour des motifs tels que faute grave, force majeure ou inaptitude constatée par le médecin du travail (C. trav., art. L. 1243-1).
- Le comportement d’un technicien qui tient des propos injurieux et racistes envers ses collègues, et qui les justifie sous prétexte de « plaisanterie », peut-il constituer une faute grave justifiant la rupture anticipée du CDD ?
✅ Solution
- Oui, d’après la Cour de cassation. Ces propos peuvent effectivement nuire à la sécurité, à l’intégrité, et à la santé morale des collègues. Ils constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Par conséquent, la rupture anticipée du CDD pour faute grave est justifiée (CA Montpellier, 2 mai 2024, n°21/01805).
Salariés protégés : formalités à la fin du contrat
👉 Contexte
- Selon une jurisprudence constante, les conseillers du salarié bénéficient de la protection prévue par l’article L. 2421-8 du Code du travail. Cela signifie que, lorsque leur CDD arrive à son terme, l’inspecteur du travail doit autoriser préalablement la cessation du contrat (Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 19-23.989).
- Une question restait en suspens depuis la recodification du Code du travail : faut-il saisir l’inspecteur du travail à l’arrivée du terme d’un CDD d’un salarié protégé, même si le contrat ne contient pas de clause de renouvellement ?
✅ Solution
- La Cour de cassation répond par la négative. La rupture du CDD d’un conseiller du salarié avant l’échéance du terme, en cas de faute grave ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ou à la fin du contrat lorsqu’il comporte une clause de renouvellement, nécessite l’autorisation de l’inspecteur du travail. Cependant, il n’est pas nécessaire de saisir l’inspecteur si le CDD arrive à son terme sans clause de renouvellement et n’est pas un contrat saisonnier ou d’usage (Cass. soc., 10 juillet 2024, n°22-21.856) (Voir notre article du 19 juillet 2024).
- Cette décision, rendue pour les conseillers du salarié, s’applique de manière plus générale à tous les salariés protégés sous CDD.
Embauche en CDI après un ou plusieurs CDD : impact sur la durée de la période d’essai
👉 Contexte
- Lorsqu’un salarié est embauché en CDI par la même entreprise à l’issue d’un ou plusieurs CDD, la durée totale de ces CDD doit être déduite de la période d’essai éventuellement prévue dans le nouveau CDI (C. trav. art. L 1243-11, al. 3), même si ces contrats étaient séparés par de courtes interruptions (Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-12.113).
- La question se pose de savoir si l’employeur doit prendre en compte seulement le dernier CDD ou l’ensemble des CDD successifs pour calculer la durée de la période d’essai en CDI.
✅ Solution
- La Cour de cassation précise que l’employeur doit tenir compte de tous les CDD successifs, même s’ils ont été séparés par des interruptions ou concernaient des postes différents. Lorsque, après un ou plusieurs CDD, le salarié est embauché en CDI pour un poste similaire, la durée totale des CDD précédents est déduite de la période d’essai prévue dans le CDI, indépendamment des courtes interruptions entre les contrats (Cass. soc., 19 juin 2024, n°23-10.783) (voir notre article du 25 juin 2024).
- Par conséquent, des CDD antérieurs, même non consécutifs et pour des postes différents, peuvent être déduits de la période d’essai du CDI si ces postes sont comparables et requièrent les mêmes compétences.
Action en requalification d’un CDD en CDI et délais de prescription applicables
👉 Contexte
- Depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail doit être engagée dans un délai de 2 ans à partir du moment où la partie concernée a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit. Les actions concernant la rupture du contrat se prescrivent par 12 mois à compter de la notification de cette rupture (C. trav., art. L.1471-1).
- Qu’en est-il des délais de prescription pour les actions en requalification d’un CDD en CDI et pour les demandes indemnitaires associées ?
✅ Solution
- La Cour de cassation distingue ces délais en fonction de la nature des créances invoquées. Ainsi, l’action en requalification d’un CDD en CDI est soumise à une prescription de 2 ans. Les demandes indemnitaires associées à cette requalification sont soumises à des régimes de prescription distincts selon leur objet. Par conséquent, certaines de ces demandes pourraient être prescrites tandis que d’autres non.
- Par exemple, une demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif est soumise à une prescription de 12 mois, alors que les demandes relatives au paiement d’une indemnité de préavis et de congés payés relèvent d’une prescription de 3 ans (Cass. soc., 24 avril 2024, n°23-11.824)
- À noter : bien que cette décision porte sur l’action en requalification de contrats de mission successifs en CDI, elle s’applique également aux actions en requalification de CDD en CDI.